La théorie de la simulation à l’épreuve de la foi chrétienne

par | Déc 19, 2023 | Christianisme, Réflexion

Peut-on vraiment croire que l’univers est une simulation ?

1. D’où vient l’idée de simulation de l’univers ?

L’idée que notre univers pourrait être une simulation n’est pas née dans un laboratoire, mais dans l’imagination humaine. Elle s’inspire d’abord de la science-fiction, notamment de films comme Matrix, avant d’être reprise par certains penseurs contemporains. En 2003, le philosophe Nick Bostrom a formulé l’un des arguments les plus discutés : si une civilisation technologique devenait capable de simuler des univers entiers, alors il serait statistiquement plus probable que nous vivions dans une de ces simulations plutôt que dans la réalité « originelle ».

Depuis, l’idée a fait son chemin, parfois sérieusement, parfois comme une provocation intellectuelle. Des chercheurs comme le physicien David Deutsch ou l’informaticien Rizwan Virk ont évoqué la possibilité que notre réalité soit construite sur un code ou des règles comparables à celles d’un programme informatique.

Mais au fond, ce que cette hypothèse questionne, ce n’est pas tant la science que la nature de la réalité elle-même. Est-ce que tout ce que nous voyons, sentons, vivons, pourrait n’être qu’un décor illusionniste ? Et si oui, que dire de nous, êtres humains ?

2. Ce que disent les scientifiques et philosophes contemporains

Du côté scientifique, il n’existe aujourd’hui aucune preuve concrète d’une « simulation » de notre monde. Certains tentent d’imaginer des expériences pour détecter d’éventuelles irrégularités dans les lois physiques, comme si une « résolution maximale » ou des artefacts de calculs numériques pouvaient apparaître. Rien de tel n’a été observé.

La question devient donc principalement philosophique. Elle touche à la confiance que nous accordons à nos perceptions, à notre intelligence, et même à notre capacité de connaître la vérité. Des penseurs y voient une reformulation moderne d’un doute ancien : celui de Descartes, qui se demandait si un démon malin ne nous trompait pas sur tout.

Ce qui rend la théorie fascinante, c’est qu’elle brouille la frontière entre science, métaphysique et spiritualité. Et c’est précisément là que la foi chrétienne entre dans le dialogue.

Le christianisme peut-il intégrer cette idée sans se renier ?

1. Création divine ou programme informatique ?

Le récit biblique affirme que l’univers a été créé par Dieu, librement et par amour. Cette création n’est pas décrite comme une illusion ou une expérience artificielle, mais comme un monde « bon », réel et habité par la présence divine. Pourtant, certains éléments de la théorie de la simulation peuvent faire écho, d’une manière limitée, à cette vision chrétienne.

Si l’on entend par « simulation » une réalité totalement dépendante d’une intelligence supérieure, alors on peut dire que l’univers, selon la foi chrétienne, est effectivement « dépendant » de Dieu. Il n’existe pas par lui-même. Il ne se soutient pas seul. Il est tenu dans l’être à chaque instant, non par un code informatique, mais par la volonté constante de Dieu.

En ce sens, la comparaison n’est pas absurde. Elle peut même aider certains esprits modernes à redécouvrir une idée fondamentale : nous ne sommes pas autosuffisants, ni notre monde. Ce que les philosophes appellent la « contingence » du monde – le fait qu’il aurait pu ne pas exister – trouve ici un langage nouveau.

Mais là s’arrête l’analogie. Car dans la Bible, le monde n’est pas une construction froide ou expérimentale. Il est fait pour être habité, aimé, transfiguré.

2. Dieu comme concepteur d’un monde cohérent et réel

Dans la foi chrétienne, Dieu ne joue pas avec sa création. Il ne l’expérimente pas comme un ingénieur qui testerait des possibilités. Il conçoit un monde qu’il veut bon, libre, et porteur d’une destinée. Cela change tout. Une simulation, dans le sens technique du terme, est généralement réversible, déconnectée de toute implication morale ou affective. Le monde, dans la vision chrétienne, est l’objet d’un engagement profond de Dieu, jusqu’à l’incarnation et la croix.

Il ne s’agit donc pas de valider la théorie de la simulation comme une vérité théologique. Mais elle peut servir de tremplin pour poser de bonnes questions. Par exemple : pourquoi l’univers est-il si ordonné ? Pourquoi les lois physiques semblent-elles si précises ? Pourquoi la conscience humaine y trouve-t-elle une place si singulière ?

La foi chrétienne répond : parce que l’univers n’est pas un accident, ni un programme. Il est une œuvre. Non pas un « jeu divin », mais une relation commencée et poursuivie entre Dieu et ses créatures.

Sommes-nous libres dans un monde « programmé » ?

1. Libre arbitre et omniscience : une tension ancienne

La question du libre arbitre n’est pas neuve. Depuis des siècles, les théologiens chrétiens réfléchissent à la tension entre deux affirmations fondamentales : Dieu connaît tout, et pourtant l’être humain est libre. Si Dieu sait à l’avance ce que je vais faire demain, suis-je vraiment libre ? La théorie de la simulation, en reprenant ce dilemme sous une forme technologique, actualise une interrogation aussi vieille que la foi elle-même.

Dans une simulation informatique, tous les paramètres sont fixés par l’auteur du programme. Les actions des personnages, leurs choix, leurs chemins, peuvent sembler libres mais sont en réalité déterminés. Ce modèle, transposé à l’échelle cosmique, pose une question redoutable : et si nos vies n’étaient que des lignes de code, préécrites par un « Dieu-programmeur » ?

La tradition chrétienne répond autrement. Oui, Dieu est souverain. Il connaît tout. Mais cela ne signifie pas que nos choix sont fictifs. Car Dieu n’est pas un programmeur qui code nos actes : il est un Père qui crée des êtres capables d’aimer librement. Sa connaissance n’annule pas notre liberté ; elle l’englobe sans l’abolir.

2. La dignité humaine au cœur du dessein divin

Ce point est essentiel. Dans la foi chrétienne, la liberté humaine n’est pas un détail, ni une illusion. Elle est au cœur du projet de Dieu. L’homme est créé à l’image de Dieu, et cela inclut la capacité de choisir, d’aimer, de refuser, de chercher. Si la vie humaine n’était qu’un parcours imposé, elle ne pourrait porter de responsabilité morale.

Même dans un univers totalement dépendant de Dieu, la personne humaine reste libre. Cette liberté n’est pas absolue – elle s’inscrit dans des lois naturelles, des limites biologiques, une histoire – mais elle est réelle. Elle donne son poids à chaque acte, à chaque relation.

C’est ici que la comparaison avec une simulation atteint sa limite. Dans une simulation, les entités n’ont pas de dignité propre. Dans la création divine, chaque être humain est unique, aimé, appelé. Il n’est pas un pion dans un jeu : il est un interlocuteur de Dieu, un partenaire libre dans l’histoire du salut.

Faut-il vivre autrement si le monde est « simulé » ?

1. La valeur morale de nos actes dans une création divine

Si l’univers était une simple illusion, une sorte de décor virtuel sans vraie substance, il serait tentant de conclure que nos actes n’ont pas de vraie portée. Après tout, pourquoi se soucier de bien ou de mal dans un monde artificiel, où tout pourrait être réinitialisé, modifié, oublié ?

Mais ce n’est pas la vision chrétienne. Pour un croyant, la réalité – quelle que soit sa structure ultime – est un lieu de vérité. Ce que nous faisons a un sens. Non parce que le monde serait « réel » au sens matériel, mais parce qu’il est voulu, aimé, habité par Dieu.

L’éthique chrétienne ne dépend pas d’un certain type de matière ou d’univers. Elle repose sur une relation : celle de la créature avec son Créateur. Si Dieu m’appelle à aimer, à servir, à construire la justice, alors chaque geste compte, chaque parole engage.

Même si l’on adopte – ne serait-ce qu’en pensée – l’idée d’un monde simulé, cela ne dispense en rien de vivre selon le bien. Car dans cette hypothèse, Dieu resterait le concepteur, le garant du sens, celui qui donne une direction à l’existence. Et dans cette direction, il y a l’amour, la responsabilité, le respect de l’autre.

2. Les repères éthiques portés par la foi chrétienne

Dans la tradition chrétienne, la morale n’est pas une simple liste de règles. Elle est une manière de vivre en cohérence avec l’amour créateur. Ce n’est pas parce que Dieu nous « observe » qu’il faut bien agir, mais parce que notre vie a du poids, une portée, une résonance dans le plan de Dieu.

Les commandements, les Béatitudes, les enseignements de Jésus sont autant de repères donnés à ceux qui cherchent à habiter ce monde, qu’il soit matériel ou non, avec justesse. La foi chrétienne ne dit pas seulement quoi faire, mais surtout pourquoi le faire. Elle oriente la vie vers une plénitude qui dépasse les apparences.

Dans un monde perçu comme simulé, certains pourraient se sentir désengagés. La foi chrétienne, au contraire, invite à l’engagement. Ce que je fais aujourd’hui a un sens éternel. Il s’inscrit dans une histoire plus grande, qui ne sera pas effacée comme un fichier temporaire.

Pourquoi la foi chrétienne n’a pas besoin de rejeter la simulation

1. Une hypothèse utile, mais insuffisante

La théorie de la simulation peut stimuler la réflexion. Elle oblige à poser des questions fondamentales : qu’est-ce que la réalité ? D’où vient l’ordre du monde ? Pourquoi la conscience existe-t-elle ? Mais elle reste une hypothèse technique, limitée à une logique de reproduction artificielle. Elle ne dit rien de la finalité du monde, ni de sa beauté, ni de l’amour qui le traverse.

Pour un chrétien, l’univers n’est pas seulement un système cohérent : il est une œuvre qui révèle quelqu’un. Une présence. Une intention. Dieu n’est pas un programmeur anonyme, mais un Père. Et l’univers n’est pas un jeu, mais une histoire. Une histoire habitée, où l’homme est appelé à vivre, à aimer, à se donner.

Refuser la théorie de la simulation n’est donc pas nécessaire. Mais il est essentiel de ne pas s’y arrêter. Elle peut servir de métaphore, de tremplin, de langage adapté à notre époque technologique. Elle ne peut pas, en revanche, remplacer la vision chrétienne du monde comme création, relation, et appel.

2. Ce que la foi affirme au-delà de toute simulation

La foi chrétienne ne cherche pas à décrire la structure de la réalité comme le ferait une théorie scientifique. Elle affirme autre chose : que le monde est voulu, que l’homme est libre, que la vie a un sens.

Même si l’univers était entièrement « simulé » dans un sens que nous ne comprenons pas encore, cela ne changerait rien à la vérité de la foi : Dieu nous appelle à une relation vivante, personnelle, responsable. Et cette relation n’est pas soumise aux conditions matérielles de notre monde. Elle dépasse le visible, le mesurable, le calculable.

C’est pourquoi la foi chrétienne peut entendre la théorie de la simulation sans s’effondrer. Elle n’est pas menacée par les hypothèses nouvelles. Elle regarde plus haut. Elle s’appuie non sur des preuves techniques, mais sur une expérience : celle d’un Dieu qui parle, qui agit, qui sauve. Et cette expérience-là, aucune simulation ne peut l’effacer.

Questions fréquentes : simulation et foi chrétienne

1. La Bible parle-t-elle d’un univers « simulé » ?

Non. La Bible parle d’un univers créé, non simulé. Il est voulu par Dieu, réel, bon et porteur d’un sens. Certains aspects de la création — comme son ordre ou sa dépendance à Dieu — peuvent évoquer des images proches d’une simulation, mais ce parallèle reste éloigné de l’intention biblique.

2. Dieu pourrait-il être vu comme un « programmeur » ?

C’est une image moderne, mais très réductrice. Dieu ne code pas un monde automatisé : il crée par amour, dans une logique de relation. L’image du programmeur peut aider à évoquer la dépendance radicale de la création, mais elle ne dit rien de la liberté, ni de la tendresse divine.

3. Si tout était programmé, serions-nous encore libres ?

Oui. La foi chrétienne affirme que Dieu connaît tout sans annuler notre liberté. Il propose, il appelle, mais ne force jamais. La liberté humaine n’est pas une illusion dans le christianisme : elle est au cœur de la dignité de la personne.

4. Pourquoi agir moralement si le monde est entièrement dépendant ?

Parce que cette dépendance ne rend pas le monde insignifiant. Au contraire : il est habité par Dieu, porteur d’un sens, traversé par une vocation. L’éthique chrétienne repose sur la relation, pas sur la structure matérielle du monde.

5. La théorie de la simulation est-elle compatible avec la foi chrétienne ?

Elle peut être vue comme une métaphore utile, mais elle reste très incomplète. La foi ne repose pas sur des modèles technologiques. Elle affirme que le monde est une création, et que la réalité ultime n’est pas un programme, mais une relation vivante avec Dieu.

Pour aller plus loin

Sur la théorie de la simulation

L’article fondateur du philosophe Nick Bostrom, Are You Living in a Computer Simulation? (2003), présente l’argument devenu célèbre selon lequel il serait statistiquement probable que nous vivions dans une simulation informatique.

L’informaticien Rizwan Virk, chercheur affilié au MIT, développe cette idée dans son livre The Simulation Hypothesis, en croisant physique quantique, informatique et science-fiction.

Pour une introduction visuelle accessible, le documentaire d’Arte Vivons-nous dans Matrix ? (série Gymnastique) explore cette théorie en lien avec la culture populaire et les questionnements philosophiques contemporains.

Sur la théologie chrétienne de la création et de la liberté

La vision chrétienne de la création, de la providence et de la liberté humaine est présentée dans le Catéchisme de l’Église catholique, notamment dans les premières sections.

Pour aller plus loin dans la réflexion rationnelle sur Dieu, le Collège des Bernardins propose un cours en ligne intitulé Dieu et la philosophie : Dieu existe-t-il ?, qui mêle philosophie et théologie.

Sur le dialogue entre science et foi

Le site francophone Science & Foi offre de nombreuses ressources (articles, vidéos, livres) pour réfléchir sans opposition artificielle entre foi chrétienne et découvertes scientifiques.

Enfin, le Faraday Institute for Science and Religion, basé à Cambridge, publie travaux et formations sur les liens entre foi, cosmologie, biologie et philosophie.

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