On marche souvent dans des rues qui portent son nom, on visite des cathédrales gigantesques qui lui sont dédiées, mais qui connaît vraiment l’histoire de l’homme derrière le mythe ? Saint Étienne n’est pas juste une figure pieuse sur un vitrail poussiéreux. C’est le protagoniste d’un thriller politique et religieux du Ier siècle, un homme dont la mort brutale a changé la face du monde occidental.
Alors que les apôtres tentaient de structurer la toute jeune Église, Étienne a osé prononcer les mots qu’il ne fallait pas dire, devant les personnes qu’il ne fallait pas défier. Son exécution, d’une violence inouïe, marque le véritable point de bascule du christianisme naissant. Retour sur le destin fulgurant du protomartyr.
L’homme qui dérangeait l’ordre établi
Pour comprendre qui était Étienne, il faut se plonger dans le climat électrique de Jérusalem peu après la mort de Jésus. La communauté des disciples grossit, mais les tensions internes menacent déjà de tout faire imploser. C’est dans ce contexte de crise que son nom apparaît pour la première fois.
Le choix des sept diacres
Les « Hellénistes » (des Juifs de langue grecque) se plaignent que leurs veuves sont négligées lors des distributions de nourriture par rapport aux « Hébreux ». Pour calmer le jeu et ne pas délaisser la prière pour l’intendance, les Douze Apôtres prennent une décision radicale : ils nomment sept hommes de bonne réputation pour gérer ce service. Étienne est le premier de cette liste.
Il n’est pas choisi par hasard. Les Actes des Apôtres le décrivent comme un homme « plein de foi et d’Esprit Saint ». Ce n’est pas un simple administrateur. Très vite, il dépasse sa fonction. Il ne se contente pas de servir à table ; il descend dans la rue, débat dans les synagogues et opère, selon les textes, de « grands prodiges et des signes ».
Une rhétorique redoutable
Ce qui rend Étienne dangereux aux yeux des autorités religieuses de l’époque, c’est son intelligence. Lorsqu’il discute avec les membres de la synagogue des Affranchis (composée de Juifs de Cyrène, d’Alexandrie et de Cilicie), personne ne peut lui résister. Il possède une sagesse qui cloue le bec à ses contradicteurs.
Humiliés, ses opposants changent de tactique. Puisqu’ils ne peuvent pas le battre sur le terrain des idées, ils choisissent la calomnie. Ils soudoient des hommes pour affirmer : « Nous l’avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu« . La machine judiciaire se met en marche. Étienne est arrêté et traîné devant le Sanhédrin, le tribunal suprême d’Israël.
Le procès qui a tout fait basculer
C’est ici que l’histoire d’Étienne prend une dimension historique majeure. Au lieu de s’excuser ou de demander grâce, il livre l’un des discours les plus audacieux du Nouveau Testament.
Un réquisitoire implacable
Face au Grand Prêtre, Étienne ne se défend pas : il attaque. Il retrace toute l’histoire d’Israël, d’Abraham à Salomon, pour démontrer une thèse explosive : le peuple a toujours résisté à l’Esprit Saint et persécuté les prophètes.
Sa conclusion est cinglante et scelle son destin. Il accuse directement ses juges d’avoir trahi et assassiné le « Juste » (Jésus). Les membres du Sanhédrin sont « exaspérés » et « grincent des dents ». La tension est à son comble. C’est alors qu’Étienne, levant les yeux au ciel, déclare voir « la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu ».
Pour le tribunal, c’est le blasphème ultime. Il s’identifie totalement à celui qui a été crucifié quelques années plus tôt. Plus besoin de délibération. La fureur collective l’emporte sur la procédure légale.
Une exécution sous haute surveillance
La scène finale est d’une brutalité crue. Étienne est poussé hors des murs de Jérusalem pour être lapidé, conformément à la loi du Lévitique pour les blasphémateurs. Mais un détail, noté avec précision par l’auteur des Actes (traditionnellement Saint Luc), change la portée de l’événement.
Le témoin silencieux : Saul de Tarse
Les témoins, ceux qui doivent jeter les premières pierres, déposent leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme. Son nom est Saul. Ce même Saul deviendra plus tard Saint Paul, l’apôtre des Gentils et l’auteur d’une grande partie du Nouveau Testament.
À cet instant précis, Saul « approuve ce meurtre ». Il est le garant moral de l’exécution. C’est une ironie tragique de l’histoire : le futur géant du christianisme assiste, complice, à la mort du premier martyr. Beaucoup d’historiens et théologiens s’accordent à dire que la puissance du témoignage d’Étienne a semé une graine dans l’esprit de Saul, préparant sa future conversion sur le chemin de Damas.
Les derniers mots
Sous la grêle de pierres, Étienne ne maudit pas ses bourreaux. Il prononce deux phrases qui font écho à celles de Jésus sur la croix : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » et, tombant à genoux, « Seigneur, ne leur compte pas ce péché ». Puis, il « s’endormit » dans la mort.

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Saint-Etienne, un guide pour beaucoup
La mort d’Étienne, survenue probablement autour de l’an 33 ou 34, a provoqué une onde de choc. Une violente persécution s’est abattue sur l’Église de Jérusalem, forçant les chrétiens à se disperser dans toute la Judée et la Samarie.
Paradoxalement, c’est cette dispersion qui a permis au christianisme de sortir de son berceau et de devenir une religion universelle. Sans le martyre d’Étienne, l’évangélisation aurait peut-être stagné à Jérusalem.
Son culte a traversé les siècles. Ses reliques, découvertes miraculeusement en 415 par le prêtre Lucien à Caphargamala, ont suscité une ferveur immense à travers tout l’Empire romain, jusqu’en Afrique du Nord où Saint Augustin en parle longuement. Aujourd’hui, on fête la Saint-Étienne le 26 décembre, juste après Noël, rappelant que la naissance du Christ est indissociable du sacrifice de ceux qui l’ont suivi.




