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Si vous entendez ce bourdonnement, courez : bienvenue dans les « Backrooms », le cauchemar infini d’Internet qui devient réel

Par Philippe Loneux |
Photographie granuleuse d'un couloir vide aux murs jaunes délabrés et éclairé par des néons bourdonnants, avec une silhouette humaine floue au loin, illustrant la légende urbaine des Backrooms.

L’odeur vous prend à la gorge immédiatement. Pas celle de la décomposition, non. C’est plus insidieux. Ça sent le vieux tapis mouillé, la poussière chauffée par l’électricité et le renfermé. Vous ouvrez les yeux, espérant voir votre chambre, le trottoir sur lequel vous avez trébuché, ou même un lit d’hôpital.

Mais il n’y a rien de tout cela.

Devant vous, des murs tapissés d’un papier peint jaune monochrome, sale, au motif vaguement victorien qui se répète jusqu’à la nausée. Au-dessus, des néons industriels grésillent sans interruption, produisant ce bourdonnement constant, ce « buzz » électrique qui fore le crâne. Vous marchez, tournez à droite, puis à gauche. Encore des pièces vides. Encore ce jaune.

Vous n’êtes pas mort. Vous n’êtes pas endormi. Vous avez « noclippé ». Vous venez de passer à travers les mailles du filet de la réalité pour atterrir dans les Backrooms.

La naissance d’un mythe : Quand le réel se fissure

Avant de devenir la légende la plus terrifiante du web moderne, les Backrooms n’étaient rien. Ou plutôt, elles étaient une simple image, postée dans l’anonymat le plus total.

C’est le 12 mai 2019, sur le forum 4chan, dans la section dédiée au paranormal (/x/), qu’un utilisateur demande des images « qui semblent dérangeantes ou qui donnent une impression de déjà-vu ». Au milieu des clichés habituels, une photo se démarque. Une pièce vide, jaunâtre, mal cadrée.

Ce n’est pas effrayant en soi. C’est juste… vide.

Mais le lendemain, un autre anonyme ajoute ce texte, devenu depuis la « Genèse » de ce nouveau folklore :

« Si vous ne faites pas attention et que vous traversez la réalité au mauvais endroit, vous finirez dans les Backrooms, où il n’y a rien d’autre que la puanteur de la moquette humide, la folie du jaune monochrome, et le bruit de fond incessant des lumières fluorescentes au bourdonnement maximum, et environ six cents millions de kilomètres carrés de pièces vides segmentées de manière aléatoire. Que Dieu vous garde si vous entendez quelque chose errer près de vous, car cette chose vous a sûrement entendu. »

En quelques lignes, le concept de « Liminal Space » (espace liminal) venait de trouver son roi.

Le « Noclip » : La chute moderne aux Enfers

Pour comprendre pourquoi cette histoire glace le sang de millions d’internautes, il faut saisir le concept de « Noclipping ». C’est un terme issu du jeu vidéo : quand un joueur traverse un mur par erreur à cause d’un bug et se retrouve dans le vide, hors de la carte jouable.

Dans les mythes anciens, on tombait dans le terrier du lapin blanc ou on traversait le miroir. C’était magique. Ici, le passage vers l’autre monde est un bug informatique de l’univers. C’est froid, accidentel et sans signification.

Les Backrooms ne sont pas un enfer biblique fait de flammes et de démons cornus. C’est un enfer administratif. Un purgatoire de bureaux vides où l’on est condamné à errer éternellement, sans but, sans fenêtre, sans sortie. C’est l’horreur de la banalité poussée à son paroxysme.

L’architecture de l’angoisse : Pourquoi ça nous fait peur ?

Regardez cette image jaune. Pourquoi met-elle si mal à l’aise ?

Les psychologues et architectes parlent de Kénopsie. C’est l’ambiance étrange et triste d’un lieu habituellement rempli de monde, mais qui est maintenant abandonné (comme une école la nuit ou un centre commercial fermé). Les Backrooms jouent sur cette corde sensible : ces pièces devraient contenir des gens, des meubles, de la vie. Leur vide n’est pas naturel. Il est menaçant.

La menace invisible

Contrairement aux films d’horreur classiques qui vous jettent des monstres au visage, les premiers niveaux des Backrooms (le « Niveau 0 ») sont terrifiants parce qu’ils sont vides.

Votre cerveau, cette machine à survie, déteste l’incertitude. Face à ces couloirs qui se ressemblent tous, il commence à halluciner. Est-ce que cette ombre a bougé ? Est-ce que le bourdonnement a changé de fréquence ? La menace, c’est votre propre esprit qui craque sous la monotonie du jaune et la peur de l’infini.

C’est une version 2.0 de la nouvelle Le Papier Peint Jaune de Charlotte Perkins Gilman  où l’héroïne sombre dans la folie à force de fixer les motifs de sa chambre. Sauf qu’ici, la chambre fait 600 millions de kilomètres carrés.

De la photo au film : L’ère Kane Pixels

Si les Backrooms sont restées un texte de niche pendant deux ans, tout a explosé en 2022. Un jeune réalisateur de 16 ans, Kane Parsons (Kane Pixels sur YouTube), a publié une vidéo intitulée « The Backrooms (Found Footage) ».

Oubliez les images fixes. Ici, on voit la chute.

Avec un réalisme visuel stupéfiant (grain VHS, mouvements de caméra maladroits), il raconte l’histoire d’un cameraman amateur qui chute littéralement du sol lors d’un tournage pour atterrir dans ce labyrinthe jaune. La vidéo a cumulé des dizaines de millions de vues. Pourquoi ? Parce qu’elle traitait l’impossible comme un documentaire historique.

Kane Pixels a transformé une légende urbaine en une série cohérente, introduisant l’idée qu’une organisation scientifique (l’ASYNC) aurait ouvert ce portail dans les années 80. Soudain, le mythe avait une histoire, des dates, et des « entités » physiques faites de câbles et de bactéries hurleuses.

Faut-il craindre les murs de votre maison ?

Aujourd’hui, les Backrooms sont devenues une mythologie collaborative massive. Des milliers d’écrivains amateurs ajoutent des « niveaux » (des piscines infinies, des hôtels sans fin, des villes obscures).

Mais la force de cette légende reste sa simplicité initiale. Elle appuie sur une peur primaire : la peur de se perdre. Qui n’a jamais ressenti un frisson en se retrouvant seul dans un couloir d’hôtel ou dans les archives d’un bureau ?

La prochaine fois que vous collerez votre oreille contre un mur et que vous entendrez un léger bourdonnement électrique, ou que vous verrez un coin d’ombre un peu trop sombre… demandez-vous si la texture de la réalité est bien solide à cet endroit.

On ne sait jamais quand le jeu peut bugger.

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Questions fréquentes

1. Les Backrooms existent-elles vraiment ?

Non, rassurez-vous. C’est une œuvre de fiction collaborative, née d’une photo d’un bureau vide (dont le lieu réel reste inconnu à ce jour) et développée par la communauté internet. Cependant, le concept joue sur des lieux réels (les espaces liminaux) qui provoquent véritablement ce sentiment de malaise.

2. Peut-on mourir dans les Backrooms ?

Selon la « lore » (l’histoire canonique développée par les fans), oui. On peut mourir de déshydratation, de faim, ou être tué par les entités qui rôdent dans certains niveaux. Pire encore, certains récits expliquent que la mort ne vous libère pas : vous devenez simplement une partie du décor ou une entité vous-même.

3. Comment savoir si on a « noclippé » ?

Les signes décrits dans les histoires sont souvent sensoriels : un changement soudain de la pression de l’air, une sensation de chute alors qu’on marche sur du plat, ou le fait de voir sa main traverser un objet solide. Si le décor autour de vous change brusquement pour du papier peint jaune, il est malheureusement trop tard pour reculer.

À propos de l’auteur Chroniqueur spécialisé en histoire des croyances et symbolisme, explore les frontières du visible. Il décrypte aussi bien les traditions religieuses que les phénomènes ésotériques et les grands mystères, en cherchant toujours le sens caché sous le prisme de l’analyse historique.
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