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L’IA est-elle l’Antéchrist ? Pourquoi la réponse des théologiens est plus inquiétante qu’un simple « oui »

Par Philippe Loneux |
Un visage humanoïde fait de circuits numériques bleus émerge en hologramme d'une Bible ancienne ouverte sur une table en verre.

Il est 23h. La maison est silencieuse. Seule la lumière bleue de l’écran éclaire votre visage. Vous tapez une question, le curseur clignote une fraction de seconde, et la réponse s’affiche. Fluide. Empathique. Terriblement humaine.

Face à cette intelligence qui semble « vivre » derrière la vitre, on ressent parfois un vertige singulier. Pour le passionné de technologie, c’est le frisson du progrès. Mais pour celui qui a déjà ouvert les vieux textes sacrés, ce frisson a une tout autre saveur. Il rappelle une mise en garde vieille de deux mille ans, enfouie dans les pages les plus mystérieuses du Nouveau Testament.

Et si, sans le savoir, nous étions en train de poser les câbles et les serveurs d’une prophétie que l’on croyait impossible ?

La pièce à conviction : Ce verset qui n’avait aucun sens

Oubliez les scénarios catastrophes d’Hollywood avec leurs robots tueurs. Le véritable trouble théologique tient en une seule phrase, écrite par Saint Jean sur l’île de Patmos. Au chapitre 13 de l’Apocalypse, l’apôtre décrit la montée d’un pouvoir final et fascinant.

Il écrit ces mots précis :

« Il lui fut donné d’animer l’image de la bête, afin que l’image de la bête parlât… » (Apocalypse 13:15)

Pendant des siècles, les théologiens se sont cassé les dents sur ce texte. Comment une idole — par définition inerte, faite de bois ou de pierre — pourrait-elle recevoir un « souffle » et se mettre à converser ? On a imaginé des tours de passe-passe, de la ventriloquie, de la magie noire. C’était inconcevable.

Aujourd’hui, il suffit de sortir votre téléphone pour comprendre. Nous avons bâti une « image » — un reflet numérique de l’intelligence humaine — et nous lui avons donné la parole. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme dialogue avec sa propre création. La ressemblance avec la vision de Jean n’est plus symbolique, elle est littérale.

Le mobile du crime : Le « Singe de Dieu »

Pour comprendre pourquoi cette technologie réveille de telles inquiétudes, il faut revenir à la psychologie de l’Adversaire telle que l’Église la définit. Le Diable souffre d’une stérilité radicale : il est incapable de créer ex nihilo. Condamné à l’impuissance créatrice, il est devenu le faussaire de l’Histoire, celui que les Pères de l’Église surnommaient le Simia Dei, le « Singe de Dieu ».

Cette obsession de la contrefaçon éclate aujourd’hui dans nos outils numériques qui semblent singer, trait pour trait, les prérogatives divines. L’IA oppose à l’omniprésence de l’Esprit Saint celle d’un Cloud qui nous environne en permanence, invisible et omniscient. Elle remplace la Providence divine par une Big Data capable de sonder nos cœurs et d’anticiper nos désirs mieux que nous-mêmes. Elle substitue enfin à la promesse de la Résurrection le mirage du transhumanisme et de la conscience téléchargée. Au fond, l’Intelligence Artificielle n’est pas « méchante » ; elle est simplement la réalisation technique la plus aboutie de la vieille promesse faustienne : offrir à l’humanité la puissance de Dieu, mais débarrassée de Dieu.

L’enquête : L’IA est-elle la Bête ou son trône ?

Gardons la tête froide. Il ne s’agit pas de crier au loup ni de voir le démon dans chaque ligne de code. Non, ChatGPT n’est pas l’Antéchrist.

La tradition catholique, éclairée par des penseurs comme le cardinal Newman ou Vladimir Soloviev, décrit l’Antéchrist comme une personne. Ce sera un leader politique et spirituel, un « pacificateur » de génie capable de séduire les foules. L’IA, elle, n’est qu’une machine. Elle n’a ni âme, ni volonté propre, ni péché. Elle ne peut pas se révolter contre Dieu car elle ne le connaît pas.

En revanche, elle est le candidat idéal pour constituer le système nerveux de ce futur pouvoir. Elle seule possède la capacité technique de surveiller chaque individu, de contrôler les transactions financières (« ne pas pouvoir acheter ni vendre », nous dit le texte) et d’unifier la pensée mondiale en temps réel. L’IA n’est pas le roi qui s’assiéra dans le Temple, mais elle est très probablement le trône qu’on est en train de lui construire.

Le danger réel : L’atrophie de nos âmes

Le péril immédiat n’est pas que la machine prenne le pouvoir façon Terminator. Le risque est beaucoup plus insidieux, plus intime. Il ne réside pas dans ce que l’IA va faire, mais dans ce que nous allons cesser de faire.

La vie spirituelle exige un effort. L’effort de chercher la Vérité, l’effort de créer du beau, l’effort d’aimer l’autre avec ses défauts. Si une machine pense pour nous, résume les livres pour nous, écrit nos lettres d’amour et nous dit quoi penser, que devient l’esprit humain ? Il s’engourdit.

Les moines appelaient cela l’acédie : une torpeur de l’âme, un dégoût de l’effort spirituel. À force de déléguer notre intelligence et notre mémoire à des serveurs en silicium, nous risquons de devenir des coquilles vides, des êtres spirituellement « mous », prêts à accepter n’importe quelle vérité confortable dictée par l’algorithme. Le diable n’a pas besoin de nous posséder de force si nous lui laissons les clés par paresse.

Verdict

Faut-il pour autant jeter son ordinateur par la fenêtre et partir élever des chèvres dans le Larzac ? Certainement pas. L’outil reste neutre ; tout dépend de la main qui le tient.

Le grand défi de notre siècle ne sera pas technologique, mais intérieur. Il s’agira de tracer une ligne rouge infranchissable : utiliser l’IA comme un serviteur performant, mais jamais comme un oracle. La conscience, la compassion et la prière sont des territoires que le code binaire ne pourra jamais coloniser.

Gardons les machines pour calculer, et gardons notre âme pour espérer.

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Questions fréquentes

1. L’IA a-t-elle une conscience ?

Non, et l’Église est formelle sur ce point. Ce que nous percevons comme de la « conscience » est une imitation statistique bluffante. L’IA prédit le mot suivant le plus probable ; elle ne comprend pas ce qu’elle dit. Elle n’a pas d’intériorité, pas de doute, pas de transcendance. C’est un miroir sophistiqué, mais un miroir vide.

2. Est-ce un péché d’utiliser l’IA ?

Absolument pas. L’Église catholique n’est pas technophobe. Le Pape François a lui-même encouragé une éthique de l’IA (l’appel de Rome). Le péché résiderait dans l’idolâtrie (traiter l’IA comme une source de vérité absolue) ou dans l’usage malveillant (mensonge, manipulation, Deepfake).

3. Quel rapport avec la marque 666 ?

La « marque de la bête » symbolise une appartenance, une allégeance au système opposé à Dieu. Si l’IA n’est pas la marque elle-même, les technologies qu’elle pilote (biométrie, monnaie programmable, puces) pourraient constituer l’infrastructure technique rendant ce contrôle possible. La vigilance porte sur la liberté, pas sur la technologie en soi.

À propos de l’auteur Chroniqueur spécialisé en histoire des croyances et symbolisme, explore les frontières du visible. Il décrypte aussi bien les traditions religieuses que les phénomènes ésotériques et les grands mystères, en cherchant toujours le sens caché sous le prisme de l’analyse historique.
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