Difficile d’imaginer à quoi ressemblerait notre savoir sur les débuts du christianisme sans lui. Eusèbe de Césarée n’est pas seulement une figure religieuse de l’Antiquité, c’est avant tout le maillon essentiel qui relie les temps apostoliques à l’ère de l’Empire chrétien. Évêque, érudit, et proche conseiller de l’empereur Constantin, il a laissé une empreinte indélébile par ses écrits.
Si on le surnomme le « père de l’histoire ecclésiastique », c’est parce qu’il a compris, avant tout le monde, l’urgence de compiler les archives, les lettres et les récits des martyrs avant qu’ils ne disparaissent.
Un érudit au carrefour des époques
Eusèbe naît aux alentours de 260 ou 265, probablement à Césarée maritime, en Palestine. Cette ville n’est pas un lieu anodin. À cette époque, c’est un centre intellectuel vibrant, doté d’une bibliothèque impressionnante fondée par Origène. C’est là que le jeune Eusèbe fait ses armes.
L’influence décisive de Pamphile
On ne peut pas comprendre Eusèbe sans mentionner Pamphile. Ce presbytre érudit a pris Eusèbe sous son aile, lui transmettant une admiration sans bornes pour la pensée d’Origène. Leur relation était si forte qu’Eusèbe a fini par se faire appeler « Eusèbe de Pamphile ». Ensemble, ils ont travaillé à enrichir la bibliothèque de Césarée et à copier des manuscrits bibliques. Cette période de formation rigoureuse a forgé la méthode de travail d’Eusèbe : un souci du document original et de la citation exacte qui tranchait avec les habitudes de l’époque.
La grande persécution de Dioclétien, au début du IVe siècle, marque une rupture brutale. Pamphile meurt en martyr. Eusèbe, lui, parvient à traverser cette période trouble, bien que les détails de sa survie restent flous et aient parfois suscité des critiques de la part de ses contemporains.
L’Histoire ecclésiastique : Une œuvre fondatrice
C’est sans conteste son chef-d’œuvre. L’Histoire ecclésiastique n’est pas un simple récit chronologique. C’est une tentative monumentale de raconter la vie de l’Église depuis le Christ jusqu’à la victoire de Constantin.
Une mine d’or pour les historiens modernes
Ce qui rend ce texte si précieux aujourd’hui, c’est la méthode d’Eusèbe. Au lieu de simplement raconter les événements avec ses propres mots, il insère de longs extraits de textes originaux. Il copie des lettres d’évêques, des édits impériaux, et des passages d’auteurs plus anciens dont les œuvres sont aujourd’hui totalement perdues.
Sans Eusèbe, nous n’aurions que très peu de traces de Papias, d’Hégésippe ou de certaines correspondances de Denys d’Alexandrie. Il a agi comme un archiviste, sauvant des pièces à conviction de l’oubli. Bien sûr, son objectivité n’est pas celle d’un historien du XXIe siècle. Il écrit une histoire orientée, destinée à montrer la progression inéluctable de la foi chrétienne et sa victoire finale sur le paganisme et les hérésies.
La structure de l’œuvre
L’ouvrage a été rédigé et remanié en plusieurs étapes sur une vingtaine d’années. Il couvre :
La succession des évêques dans les grands sièges (Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem).
L’histoire des hérésies et comment elles ont été combattues.
Les malheurs du peuple juif, vus comme une conséquence du rejet du Christ.
Les persécutions et le courage des martyrs.
Eusèbe et l’Empereur Constantin
L’autre facette majeure de la vie d’Eusèbe est sa relation avec le pouvoir impérial. Lorsque la persécution cesse et que Constantin prend le contrôle de l’Orient, Eusèbe voit en lui l’instrument de la Providence divine.
Cette admiration se traduit par des écrits panégyriques, notamment la Vie de Constantin. Dans ce texte, Eusèbe ne cherche pas la neutralité. Il dresse le portrait d’un empereur chrétien idéal, envoyé par Dieu pour instaurer la paix sur terre. C’est ici que se cristallise la théologie politique d’Eusèbe : l’Empire romain chrétien est l’image terrestre du Royaume des Cieux, et l’empereur est le vicaire de Dieu sur terre. Cette vision influencera la conception du pouvoir à Byzance pendant plus de mille ans.
Le rôle controversé au Concile de Nicée
En 325, Constantin convoque le premier concile œcuménique à Nicée pour régler la crise arienne. Arius, un prêtre d’Alexandrie, enseignait que le Fils n’était pas éternel comme le Père, mais créé.
Une position théologique modérée
Eusèbe de Césarée se retrouve dans une position délicate. Intellectuellement, il est proche de certaines idées d’Arius, insistant sur la distinction entre le Père et le Fils pour éviter le polythéisme. Cependant, il n’est pas un radical. Son but principal est la paix de l’Église, si chère à l’empereur.
Lors du concile, il propose le credo baptismal de sa propre église de Césarée comme base de compromis. Bien que ce texte soit respecté, il ne suffit pas aux opposants d’Arius qui imposent le terme homoousios (consubstantiel). Eusèbe finit par signer le Credo de Nicée, mais non sans réticence. Il envoie ensuite une lettre à son diocèse pour expliquer son geste, interprétant le terme consubstantiel d’une manière qui lui permettait de garder sa propre compréhension théologique.

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FAQ sur Eusèbe de Césarée
1. Eusèbe de Césarée est-il considéré comme un saint ?
Non, Eusèbe n’est pas vénéré comme un saint dans l’Église catholique ni dans l’Église orthodoxe, contrairement à d’autres pères de l’Église. Sa proximité avec les idées ariennes et son attitude ambiguë lors du concile de Nicée ont terni sa réputation théologique posthume, bien que son travail d’historien soit universellement salué. Il est toutefois inscrit au calendrier des saints de certaines églises syriaques.
2. Quelle est la fiabilité historique de ses écrits ?
Elle est généralement bonne, mais doit être prise avec des pincettes. Eusèbe est honnête dans ses citations (il ne fabrique pas de faux), mais il est sélectif. Il omet volontairement ce qui ne sert pas son récit ou ce qui pourrait nuire à l’image de l’Église ou de Constantin. Il faut le lire comme un historien engagé qui a une thèse à défendre, et non comme un observateur neutre.
3. A-t-il écrit d’autres livres importants ?
Oui, en dehors de l’Histoire ecclésiastique et de la Vie de Constantin, il a rédigé la Chronique (un tableau chronologique universel comparant les histoires bibliques et païennes), la Préparation évangélique et la Démonstration évangélique. Il a également réalisé un travail pionnier en géographie biblique avec son Onomasticon, un dictionnaire des noms de lieux cités dans les Écritures.
4. Quelle est la différence entre Eusèbe de Césarée et Eusèbe de Nicomédie ?
Ce sont deux personnes différentes, bien que contemporaines et alliées théologiquement. Eusèbe de Nicomédie était un évêque beaucoup plus politique et un fervent défenseur de l’arianisme pur et dur. Il a d’ailleurs baptisé l’empereur Constantin sur son lit de mort. Eusèbe de Césarée était davantage un érudit et un modéré.




