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Et si vous étiez Dieu en train de rêver sa propre vie ? L’expérience de pensée qui fascine la métaphysique

Par Philippe Loneux |
Illustration conceptuelle montrant une conscience universelle lumineuse connectée par des fils d'énergie à de multiples bulles contenant des scènes de vie humaines variées, symbolisant la théorie du rêve divin et la fragmentation de la conscience.

Imaginez un instant que vous soyez la seule conscience qui existe. Non pas vous en tant qu’individu avec votre nom et votre histoire, mais Vous, l’essence même de l’univers. Cette hypothèse, vertigineuse et effrayante, est l’une des expériences de pensée les plus célèbres de la philosophie et de la spiritualité orientale. Elle porte un nom : le solipsisme divin ou la non-dualité.

L’idée est simple mais dévastatrice : et si la multiplicité des êtres, les guerres, les amours, votre voisin de palier et vous-même n’étiez que les multiples visages d’une seule et même entité jouant à cache-cache avec elle-même ?

Le vertige de la solitude absolue

Reprenons l’expérience au début. Imaginez que vous êtes Dieu. Vous êtes omnipotent, omniscient et éternel. Vous pouvez tout faire, tout créer, tout savoir. Il n’y a aucune limite à votre pouvoir. C’est, en apparence, la définition même de la félicité.

Cependant, cette condition comporte une ombre au tableau : la solitude absolue. Si vous êtes Tout, alors il n’y a personne d’autre. Il n’y a pas d’altérité. Il n’y a pas de surprise. Vous savez déjà ce que vous allez dire avant de le penser. Vous connaissez la fin du film avant même de l’avoir créé. Dans cette perspective, l’éternité ne ressemble plus à un paradis, mais à une prison dorée d’un ennui infini.

Le philosophe britannique Alan Watts a souvent vulgarisé cette idée à travers le concept du « rêve de Dieu« . Il suggérait que si vous aviez le pouvoir de rêver tout ce que vous vouliez pendant 75 ans en une seule nuit, vous commenceriez par réaliser tous vos fantasmes. Puis, lassé par la prévisibilité, vous finiriez par rêver d’une vie où vous ne contrôlez pas tout, où vous ne savez pas que vous rêvez. Vous finiriez par rêver la vie que vous êtes en train de vivre, ici et maintenant.

La fragmentation comme remède à l’ennui

Pour échapper à cette insoutenable solitude, cette « Conscience Unique » aurait trouvé un stratagème ingénieux : l’oubli. Elle se serait fragmentée en des milliards de morceaux de conscience — les humains, les animaux, les plantes — en prenant soin d’effacer la mémoire de sa propre nature divine dans chaque fragment.

C’est ce que les traditions indiennes appellent la Maya (l’illusion). Le but ? Se redécouvrir. Se surprendre. En devenant « plusieurs », l’Un peut enfin expérimenter la relation, l’échange, le risque et l’aventure. Vous ne seriez donc pas un être humain cherchant une expérience spirituelle, mais un être spirituel vivant une expérience humaine pour tromper l’ennui de la perfection.

La nécessité de l’Amour

Il existe une autre dimension à cette thèse, plus émotionnelle. Si l’on part du principe théologique que Dieu est Amour, une contradiction émerge : l’amour est, par essence, relationnel. On ne peut pas aimer dans le vide. L’amour nécessite un sujet (celui qui aime) et un objet (celui qui est aimé).

Dans une solitude totale, l’amour est impossible car il n’y a pas d’Autre. Pour que l’amour puisse exister et se déployer, l’Unité doit se diviser. La création de l’univers et de l’humanité ne serait donc pas un acte d’autorité, mais un acte de nécessité amoureuse. En créant des êtres autonomes, libres de l’aimer ou de le rejeter, Dieu rend l’amour possible. La souffrance et la séparation deviendraient alors le prix inévitable à payer pour que la rencontre existe.

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L’impossibilité logique de la souffrance divine

Cependant, aussi séduisante et poétique que soit cette théorie, elle se heurte à un mur logique implacable si l’on s’en tient à la définition philosophique classique de la divinité.

Si Dieu existe, il est par définition l’Être parfait. Or, la perfection implique la plénitude. Un être parfait ne manque de rien. Il se suffit à lui-même. C’est ce que les philosophes comme Spinoza ou les théologiens comme Saint Thomas d’Aquin ont tenté de démontrer.

Dire que Dieu souffre de solitude, c’est admettre qu’il ressent un manque. C’est admettre qu’il a besoin de quelque chose d’extérieur à lui-même (une création, une distraction) pour être heureux ou complet. Si Dieu s’ennuie, il est soumis au temps et à la psychologie, ce qui contredit sa nature d’absolu. S’il est Amour parfait, cet amour est un acte de don pur qui ne nécessite pas de combler un vide existentiel.

Par conséquent, l’idée d’un Dieu qui se fragmente pour fuir sa propre solitude, bien que fascinante pour notre esprit humain qui projette ses propres angoisses, est philosophiquement peu probable. Un Dieu parfait ne peut souffrir de sa condition, puisqu’il est la condition de toute existence.

Mais après tout, face au grand mystère de l’origine, qui peut prétendre détenir la vérité absolue ?

À propos de l’auteur Chroniqueur spécialisé en histoire des croyances et symbolisme, explore les frontières du visible. Il décrypte aussi bien les traditions religieuses que les phénomènes ésotériques et les grands mystères, en cherchant toujours le sens caché sous le prisme de l’analyse historique.
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