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Le Dieu Spaghetti est mort : Comment une blague de geek est devenue le cauchemar des tribunaux

Par Philippe Loneux |
Figure encapuchonnée portant une passoire métallique comme couvre-chef, se tenant dans une crypte sombre à côté d'un autel en pierre ancien où repose une représentation poussiéreuse du Monstre en Spaghetti Volant.

Nous sommes en janvier 2005. Il est 3 heures du matin. Dans un appartement d’étudiant mal éclairé de l’Oregon, l’air sent le café froid et la frustration. Bobby Henderson, 24 ans, ne cherche pas à fonder un culte. Il n’a pas de vision mystique. Il est juste énervé.

Devant son écran cathodique qui grésille, il rédige une lettre ouverte au Comité d’Éducation du Kansas. Ces derniers viennent de décider que le « Dessein Intelligent » (une version pseudo-scientifique du créationnisme) doit être enseigné en cours de sciences comme une alternative à l’évolution.

Henderson tape alors une phrase qui va changer la culture web pour toujours. Si l’on doit enseigner des théories sans preuves, alors il exige qu’on enseigne la sienne : l’univers a été créé par un Monstre en Spaghetti Volant, ivre de surcroît.

Ce n’était qu’une satire. Un « reductio ad absurdum » pour humilier les fondamentalistes. Mais 20 ans plus tard, la blague a cessé de faire rire. Elle est devenue une arme juridique, un casse-tête pour les juges européens et, paradoxalement, une véritable religion.

Quand la passoire devient un symbole politique

Le « Pastafarisme » aurait dû mourir sur internet, enterré entre une vidéo de chat et un mème oublié. C’est l’inverse qui s’est produit. L’absurde a pris corps.

Le premier coup de tonnerre ne vient pas des États-Unis, mais d’Autriche. En 2011, Niko Alm obtient le droit de poser pour sa photo de permis de conduire avec une passoire à pâtes sur la tête.

Ce n’est pas un détail vestimentaire. C’est un acte de guerre administrative.

La loi autrichienne interdit les couvre-chefs sur les photos officielles, sauf pour « motifs religieux ». En forçant l’administration à accepter sa passoire, Alm a prouvé une faille béante dans le système : l’État ne peut pas définir ce qu’est une « vraie » croyance sans violer la liberté de conscience.

Si une coiffe de nonne est acceptée, pourquoi pas un ustensile de cuisine ? La texture métallique de la passoire, froide et ridicule, est devenue le miroir tendu aux privilèges religieux. Soudain, le Dieu Spaghetti n’était plus une blague de potache. C’était un outil de militantisme laïc.

Le paradoxe de la « vraie » foi

C’est ici que l’histoire devient sombre. Pour être reconnus, les pastafariens ont dû s’organiser. Ils ont écrit des textes (l’Évangile du Monstre en Spaghetti Volant), défini des dogmes (les « Huit Condiments », refusant poliment les commandements) et célébré des mariages légaux.

Mais en se structurant, le mouvement a rencontré un obstacle mortel : le sérieux.

En 2018, la Haute Cour des Pays-Bas a rejeté la demande de Mienke de Wilde, une pastafarienne dévouée qui voulait, elle aussi, sa photo avec passoire. Le verdict des juges est fascinant de cynisme : le pastafarisme n’est pas une religion car il manque de « sérieux » et de « cohésion ».

C’est le piège parfait.

Si vous dites que c’est une blague, vous n’avez aucun droit.

Si vous prétendez que c’est sérieux, vous trahissez l’essence même de la satire.

Le Dieu Spaghetti est-il mort ce jour-là aux Pays-Bas ? Peut-être. En voulant entrer dans le cadre légal, le monstre a perdu ses tentacules. Il est devenu ce qu’il détestait : une institution qui remplit des formulaires.

Pourquoi nous avons encore besoin des pirates

Pourtant, enterrer le Monstre serait une erreur. Regardez autour de vous. Le débat de 2005 est plus actuel que jamais.

Aux États-Unis, des livres sont bannis des bibliothèques scolaires. En Europe, le blasphème revient dans le débat public. La science est de nouveau contestée par des croyances présentées comme des « faits alternatifs ».

Le génie de Bobby Henderson n’était pas d’inventer un dieu ridicule. C’était de montrer que la foi ne nécessite aucune preuve, seulement de l’adhésion.

Aujourd’hui, le « Dieu Spaghetti » est peut-être mort en tant que mème viral. Mais il survit comme une sentinelle. Chaque fois qu’un tribunal néo-zélandais autorise un mariage pastafarien (ce qu’ils font depuis 2015), c’est un rappel que la liberté de religion est absolue ou qu’elle n’existe pas.

Il ne s’agit pas de croire aux boulettes de viande. Il s’agit de savoir si l’État a le droit de décider que votre ami imaginaire est plus légitime que le mien simplement parce qu’il est plus vieux.

La prochaine fois que vous égoutterez des pâtes, regardez bien votre passoire. Ce n’est pas juste du métal troué. C’est le dernier rempart contre la bêtise institutionnalisée.

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Les questions que tout le monde se pose

Le Pastafarisme est-il reconnu officiellement ?

Ça dépend où vous vivez. En Nouvelle-Zélande, ils peuvent célébrer des mariages légaux (les « Ministers » sont officiels). Aux Pays-Bas et en France, c’est non. L’État considère cela comme une parodie, refusant les avantages fiscaux ou les exceptions vestimentaires accordés aux « vraies » religions.

Les Pastafariens croient-ils vraiment au Monstre ?

Non, et c’est tout le but. C’est une anti-croyance. Si un Pastafarien vous dit qu’il y croit « vraiment », il joue son rôle (ou il n’a rien compris). L’objectif est de montrer que l’on peut avoir une communauté morale et éthique sans croire au surnaturel.

Que se passe-t-il après la mort pour eux ?

Leur paradis est très précis. Il contient un volcan de bière (toujours fraîche) et une usine de strip-teaseurs/euses (selon vos préférences). L’enfer est identique, sauf que la bière est éventée et que les strip-teaseurs ont des maladies vénériennes. C’est bête, mais avouez que c’est plus concret que des nuages.

À propos de l’auteur Chroniqueur spécialisé en histoire des croyances et symbolisme, explore les frontières du visible. Il décrypte aussi bien les traditions religieuses que les phénomènes ésotériques et les grands mystères, en cherchant toujours le sens caché sous le prisme de l’analyse historique.
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