Il est mort à la tombée de la nuit. Son corps était froid, rigide, prêt pour la mise en terre. Pourtant, à l’aube, Dryhthelm s’est redressé sur son lit de mort.
Nous sommes en Northumbrie au nord de l’Angleterre, à la fin du VIIe siècle. Autour de lui, sa femme hurle de terreur. Les prêtres s’enfuient. Mais Dryhthelm reste calme. Il a vu l’au-delà. Il a marché dans une vallée de ténèbres alternant entre un froid glacial et une fournaise insoutenable, guidé par une « silhouette brillante ». Il est revenu avec une certitude absolue.
Ce récit, rapporté par le moine Bède le Vénérable, glace le sang. Il prouve surtout une chose fascinante : le cerveau humain génère le même scénario depuis des millénaires.
Le mythe de l’invention moderne
On attribue souvent la découverte des Expériences de Mort Imminente (EMI) au docteur Raymond Moody et à son best-seller de 1975, La Vie après la vie. C’est une erreur chronologique. Moody a simplement donné un nom clinique à une réalité archéologique.
Bien avant les salles de réanimation aseptisées et le bip des moniteurs cardiaques, les hommes racontaient déjà ce voyage. Ils utilisaient simplement un vocabulaire différent. Là où le patient moderne voit un « être de lumière » bienveillant, le soldat grec ou le moine médiéval voyait un juge ou un ange gardien. La culture change l’habillage. La structure du récit, elle, demeure immuable.
Regardez l’œuvre de Jérôme Bosch, L’Ascension des élus. Peinte vers 1500, elle montre des âmes nues flottant vers un cylindre lumineux. C’est la représentation littérale du « tunnel » décrit par des millions de témoins contemporains. Le peintre hollandais a capturé sur la toile une vision encodée dans notre biologie.
Platon et le soldat revenu des morts
L’histoire bégaye. Remontez encore le temps. IVe siècle avant notre ère. Platon, dans sa République, relate le mythe d’Er le Pamphylien. Ce soldat, laissé pour mort sur un champ de bataille, se réveille sur son propre bûcher funéraire douze jours plus tard.
Er décrit son âme quittant son corps pour marcher vers un « lieu divin ». Il y voit des juges, des récompenses, des punitions. Il reçoit l’ordre de repartir pour témoigner. Les étapes concordent parfaitement avec l’échelle de Greyson utilisée aujourd’hui par les psychiatres pour valider une EMI :
Sentiment de sortie du corps (Décorporation).
Rencontre avec des entités.
Vision d’une frontière infranchissable.
Retour forcé.
La technologie change, le récit persiste.
Quand le paradis était un enfer
Une différence majeure sépare toutefois nos ancêtres de nous : la peur.
Aujourd’hui, les récits d’EMI sont souvent apaisants, emplis d’amour inconditionnel. Au Moyen Âge, l’expérience relevait de l’épreuve terrifiante. C’était un avertissement divin.
Prenez la Vision de Tondale (1149). Ce chevalier irlandais, tombé dans le coma lors d’un repas, traverse un purgatoire brutal. Il voit un pont étroit comme un rasoir, surplombant une vallée de soufre où des monstres attendent les âmes qui chutent.
Pour l’homme médiéval, frôler la mort constituait un appel à la pénitence immédiate. Le cerveau projetait les angoisses de l’époque : la damnation éternelle. Comme l’a démontré l’historienne des religions Carol Zaleski (Harvard) dans son étude comparative de référence, Otherworld Journeys, le « film » qui se joue sous nos paupières s’adapte à notre vidéothèque culturelle interne. La structure neurologique est la même, mais l’habillage change : hier le purgatoire punitif, aujourd’hui le cosmos bienveillant.
La chimie de l’au-delà
Pour les neuroscientifiques, cette universalité temporelle valide une hypothèse biologique. Si un chevalier du XIIe siècle et une infirmière du XXIe siècle voient la même lumière, c’est parce qu’ils partagent la même architecture cérébrale.
Face à l’arrêt imminent du système, le cerveau inonde le cortex d’un cocktail puissant. La DMT (diméthyltryptamine) ou une hypoxie (manque d’oxygène) dans le lobe temporal droit déclencheraient ces visions. Ce « tunnel » serait en réalité la vision fovéale qui se rétrécit alors que l’irrigation sanguine chute.
Cette explication matérialiste laisse pourtant une question en suspens. Pourquoi cette hallucination suit-elle un script si cohérent, si organisé, capable de transformer radicalement la vie de celui qui revient ? La chimie explique le comment. Elle peine encore à expliquer le pourquoi.
Peut-être que Dryhthelm, Er et les patients modernes ont tous ouvert la même porte. Nous avons juste changé le nom de ce qui se trouve derrière.

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Les questions que tout le monde se pose
Quelle est la plus vieille EMI connue ?
Elle figure dans l’Épopée de Gilgamesh, l’un des plus vieux textes de l’humanité (environ 2500 av. J.-C.). Enkidu y décrit une « maison de poussière » et des êtres ailés après une vision moribonde. L’humanité hallucine ou visite l’au-delà depuis que l’écriture existe.
Les EMI négatives existent-elles encore ?
Absolument. Environ 15% des expériences rapportées aujourd’hui restent terrifiantes (néant, froid, entités malveillantes). On en parle moins car elles collent mal avec l’image « New Age » et rassurante que le public affectionne. Le « Bad Trip » existentiel reste une réalité statistique.
Peut-on provoquer une EMI artificiellement ?
Oui. Les pilotes de chasse subissant des « G-LOC » (perte de conscience due à la gravité) rapportent souvent des visions tunnelaires et des sorties de corps. La stimulation électrique du gyrus angulaire droit par des neurologues a également reproduit la sensation de flotter au-dessus de son propre lit. Le bouton « éjection » est bien ancré dans notre crâne.




