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Juifs messianiques et Chrétiens : la grande confusion (et pourquoi Jésus portait la kippa)

Par Philippe Loneux |
Un homme juif orthodoxe, portant un chapeau noir et une barbe, regarde pensivement un vitrail représentant Jésus-Christ à l'intérieur d'une église catholique ancienne.

Vous êtes-vous déjà promené dans le quartier juif de Jérusalem ou même dans le Marais à Paris ? Imaginez la scène. Vous croisez un homme, tsitsit à la ceinture, kippa sur la tête. Il ressemble à n’importe quel pratiquant orthodoxe. Sauf qu’au détour de la conversation, il vous parle de « Yeshua » (Jésus) comme de son Sauveur, avec la même ferveur qu’un pasteur texan.

Là, votre cerveau bugue. Est-il juif ? Est-il chrétien ? A-t-il simplement oublié de choisir son camp ?

C’est toute la complexité du Judaïsme messianique. Un mouvement qui brouille les cartes théologiques et qui force l’Église comme la Synagogue à se regarder dans le miroir. Pour comprendre cette « anomalie » spirituelle, il faut remonter le temps, dépoussiérer quelques parchemins et surtout, accepter une vérité historique que deux mille ans de dogmes ont parfois tenté d’effacer.

L’évidence oubliée : Jésus n’est pas né au Vatican

Avant de vouloir séparer les juifs messianiques des chrétiens « classiques », il faut poser la base. Une base qui semble évidente mais qu’on oublie souvent entre deux décorations de sapin de Noël.

Jésus était juif.

Il n’est pas né chrétien. Il n’a jamais assisté à une messe le dimanche matin. Il n’a jamais mangé de jambon. Jésus (Yeshua de son vrai nom hébreu) est né juif, a vécu en juif, a enseigné dans des synagogues et respectait la Loi de Moïse. Techniquement, il est l’essence même du christianisme — le Christ — mais sa « religion » au quotidien, c’était le judaïsme du Second Temple.

Les premiers chrétiens allaient à la synagogue

Au tout début, la question de la « différence » ne se posait même pas. Les apôtres ? Juifs. Les 3000 convertis de la Pentecôte ? Juifs.

Pendant les premières décennies après sa mort, suivre Jésus n’était pas changer de religion. C’était simplement appartenir à une secte juive (au sens sociologique, non péjoratif) appelée « La Voie ». Ces premiers croyants continuaient de fréquenter le Temple de Jérusalem, de circoncire leurs fils et de manger casher. Ils avaient juste une conviction en plus : le Messie attendu par Israël était arrivé, et il s’appelait Yeshua.

Le grand divorce : quand l’Histoire a coupé le cordon

Si tout le monde était d’accord au début, pourquoi a-t-on aujourd’hui des églises d’un côté et des synagogues de l’autre ?

C’est là que l’Histoire s’emballe. Au fil du 1er siècle, de plus en plus de non-juifs (les « Gentils » ou « Païens ») se sont mis à croire en Jésus. Fallait-il les forcer à devenir juifs, à se faire circoncire et à ne plus manger de crevettes pour suivre le Messie ?

La réponse des apôtres (notamment Paul et Pierre) fut non. On a ouvert la porte. Résultat : le nombre de non-juifs a explosé, dépassant rapidement le nombre de croyants juifs. Le christianisme s’est « gentilisé ».

En parallèle, les tensions politiques entre les Juifs et l’Empire romain, suivies de la destruction du Temple en 70, ont creusé le fossé. Les rabbins ont fini par exclure ceux qui croyaient en Jésus. L’Église, de son côté, a commencé à rejeter ses racines juives (parfois avec un antisémitisme virulent chez certains Pères de l’Église).

Le divorce était prononcé. D’un côté, le Christianisme (pour les non-juifs). De l’autre, le Judaïsme (sans Jésus).

Le Juif Messianique : le retour aux origines ?

C’est ici que le Juif messianique moderne entre en scène. Il vient casser ce divorce historique.

Un Juif messianique, c’est une personne née juive (ou convertie, bien que ce soit plus complexe) qui reconnaît Jésus comme le Messie d’Israël, mais qui refuse d’abandonner son identité juive.

Voici ce qui les sépare d’un chrétien évangélique ou catholique lambda :

1. La Loi vs La Grâce (ou les deux ?)

Le chrétien classique considère généralement que la « Loi » (les règles de l’Ancien Testament) a été accomplie par Jésus. Il ne se sent pas obligé de respecter le Shabbat ou les interdits alimentaires. Il est libre.

Le Juif messianique, lui, continue souvent de pratiquer la Torah. Non pas pour être sauvé (il croit que c’est la foi en Yeshua qui sauve), mais par identité et alliance. Il fera le Shabbat le vendredi soir, célébrera Pessah (la Pâque juive) plutôt que Pâques avec des cloches en chocolat, et jeûnera à Yom Kippour. Pour lui, croire en Jésus ne signifie pas devenir un « Gentil », mais devenir un « Juif complet ».

2. Le vocabulaire qui change tout

Si vous entrez dans une assemblée messianique, laissez votre dictionnaire catholique au vestiaire :

  • On ne dit pas « Jésus », on dit Yeshua.

  • On ne dit pas « Christ », on dit Machia’h (Messie).

  • On ne dit pas « Église », on dit Kehila (Assemblée) ou Synagogue.

  • On ne voit pas de croix (symbole souvent associé aux persécutions historiques pour les Juifs), mais des Menorahs ou des étoiles de David.

C’est une volonté farouche de nettoyer la foi des sédiments culturels occidentaux pour retrouver la saveur du 1er siècle.

3. La trinité, sujet sensible

Théologiquement, c’est là que ça se corse. La majorité des chrétiens croient en la Trinité (Père, Fils, Saint-Esprit). La plupart des Juifs messianiques y croient aussi, mais ils sont souvent mal à l’aise avec le terme « Trinité » qui sonne très catholique et polythéiste aux oreilles juives. Ils préféreront parler de la divinité de Yeshua tout en insistant lourdement sur le Chema Israël (« Écoute Israël, l’Éternel est UN »). C’est une danse sémantique délicate pour ne pas choquer le monde juif traditionnel.

Pourquoi ça coince des deux côtés ?

Le drame du juif messianique, c’est qu’il est souvent assis entre deux chaises, et les chaises sont très éloignées.

Pour la communauté juive traditionnelle, le messianique est souvent vu comme un traître, voire pire : un missionnaire déguisé qui veut détruire le peuple juif de l’intérieur. Ils ne sont pas comptés dans le minyan (le quorum de prière) et l’État d’Israël ne leur accorde pas automatiquement la citoyenneté au titre de la « Loi du Retour » s’ils professent leur foi en Jésus.

Pour certains chrétiens traditionnels, le messianique est parfois regardé avec suspicion : « Pourquoi retournent-ils sous la Loi ? Pourquoi re-judaïser ce que Jésus a libéré ? ».

Pourtant, leur nombre grandit. Ils sont la preuve vivante que l’Histoire n’est jamais figée et que les étiquettes religieuses, aussi vieilles soient-elles, finissent toujours par se décoller un peu sur les bords.

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FAQ : Pour aller plus loin sans tourner en rond

1. Un chrétien « normal » peut-il fréquenter une assemblée messianique ?

Absolument. De nombreux chrétiens curieux s’y rendent pour redécouvrir les « racines hébraïques » de leur foi. C’est souvent l’occasion de comprendre le contexte des Évangiles (les fêtes, les coutumes). Attention toutefois : ne vous sentez pas obligé de porter une kippa si vous n’êtes pas juif, personne ne vous le demande.

2. Est-ce la même chose que les « Jews for Jesus » ?

« Jews for Jesus » est une organisation missionnaire spécifique. Le Judaïsme messianique est le mouvement global, composé de centaines de congrégations indépendantes. C’est la différence entre une marque de voiture et le concept d’automobile.

3. Fêtent-ils Noël ?

Généralement, non. La plupart considèrent que le 25 décembre est une date issue du paganisme romain. Ils mettent l’accent sur Hanoucca (la fête des Lumières) et célèbrent parfois la naissance de Yeshua lors de la fête des Tabernacles (Souccot), qui correspondrait mieux à la chronologie biblique.

4. Sont-ils reconnus comme Juifs par l’État d’Israël ?

C’est le point douloureux. La Cour Suprême d’Israël a statué que, bien qu’ethniquement juifs, ceux qui changent de religion (en acceptant Jésus) s’excluent de la définition légale ouvrant droit à l’immigration automatique (Aliyah). Ils peuvent devenir citoyens, mais le parcours est beaucoup plus complexe que pour un juif athée ou bouddhiste.

À propos de l’auteur Chroniqueur spécialisé en histoire des croyances et symbolisme, explore les frontières du visible. Il décrypte aussi bien les traditions religieuses que les phénomènes ésotériques et les grands mystères, en cherchant toujours le sens caché sous le prisme de l’analyse historique.
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