Alors que des millions d’Américains se réunissent ce jeudi 27 novembre pour célébrer Thanksgiving, l’image d’Épinal de la famille modèle partageant une dinde rôtie masque une réalité historique et économique bien plus complexe. Si les médias traditionnels rappellent souvent l’histoire des Pères pèlerins et du Mayflower, peu s’attardent sur les coulisses politiques, les mythes culinaires et la frénésie logistique qui transforment ce jour férié en un véritable phénomène de société. Voici ce que l’histoire officielle omet souvent de préciser sur cette tradition sacrée aux États-Unis.
L’assiette de 1621 ne ressemblait pas à celle d’aujourd’hui
C’est l’un des malentendus les plus tenaces de la culture populaire. Le menu que s’apprêtent à déguster les familles américaines aujourd’hui n’a que très peu de points communs avec le repas partagé en 1621 à Plymouth. Si la dinde trône désormais au centre de la table, elle n’était probablement pas la star du festin originel.
Les historiens s’accordent à dire que les colons et les Wampanoags ont consommé ce que la nature leur offrait à cette saison précise : du gibier, et plus particulièrement de la venaison (cerf) apportée par les autochtones, ainsi que des oiseaux d’eau comme le canard ou l’oie. La tarte à la citrouille, dessert incontournable de nos jours, était techniquement impossible à réaliser telle quelle, faute de beurre et de four à pâtisserie. Ce n’est qu’au XIXe siècle, sous l’influence de l’auteure Sarah Josepha Hale, que le menu s’est standardisé pour devenir ce symbole d’abondance agricole.
Quand la Maison Blanche a tenté de manipuler le calendrier
Si Abraham Lincoln a effectivement fixé la date au dernier jeudi de novembre en 1863, cette case du calendrier n’a pas toujours été gravée dans le marbre. L’histoire a failli basculer en 1939, sous la présidence de Franklin D. Roosevelt. Cette année-là, le mois de novembre comptait cinq jeudis.
Inquiet pour l’économie nationale alors que le pays peinait à sortir de la Grande Dépression, Roosevelt a pris la décision controversée d’avancer la fête d’une semaine. L’objectif était purement commercial : rallonger la période des achats de Noël pour stimuler la consommation. Cette initiative, surnommée moqueusement le Franksgiving, a provoqué un tollé national et une confusion monstre, certains États refusant d’appliquer le changement. Ce n’est qu’en 1941 que le Congrès a tranché définitivement en fixant la fête au quatrième jeudi du mois, scellant ainsi le lien indéfectible entre cette célébration et l’économie de détail.
Le mythe de la grâce présidentielle
Une autre tradition très médiatisée attire les caméras chaque année : la grâce présidentielle accordée à une ou deux dindes, leur évitant l’abattoir. Contrairement aux idées reçues, ce rituel n’est pas aussi ancien que la fondation du pays. Si John F. Kennedy a spontanément épargné une volaille en 1963, et que Ronald Reagan a joué avec le concept, ce n’est qu’en 1989, sous George H.W. Bush, que la cérémonie est devenue un protocole officiel et annuel à la Maison Blanche.
Le jour le plus intense de l’année pour les transports
Au-delà de la symbolique historique, Thanksgiving représente avant tout le plus grand déplacement de population de l’année en Amérique du Nord. L’association AAA (American Automobile Association) estime que plus de 50 millions d’Américains parcourent au moins 80 kilomètres pour rejoindre leurs proches.
Ce chassé-croisé massif paralyse les grands axes autour de métropoles comme Los Angeles, New York ou Chicago et sature les aéroports. Cette migration temporaire souligne l’aspect quasi-sacré de la réunion familiale outre-Atlantique, surpassant même Noël en termes de logistique. Dès le lendemain, cette parenthèse de gratitude laissera place à une autre forme de communion nationale, beaucoup plus matérialiste : le Black Friday, qui marque le véritable coup d’envoi de la saison commerciale mondiale.





